Hommage à François Roustang

par Antoine Bioy

Docteur en psychologie, Professeur à l’université de Bourgogne-Franche-Comté

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François Roustang nous a quitté à l’âge de 93 ans, le 23 novembre de cette année. Son départ est celui de l’une des grandes figures contemporaines de l’hypnose, qui a ouvert une voie nouvelle à la fois de compréhension et de pratique de cette approche.

Comme souvent chez les personnages qui marquent une discipline, son génie créatif a consisté à faire du lien entre de grands concepts existants et ainsi les faire vivre de façon inédite et pertinente ; la création par des emboitements nouveaux. Ainsi se répondent dans le « puzzle Roustang » des pièces psychanalytiques, philosophiques, psychologiques, des inspirations orientales, humanistes, systémiques, phénoménologiques, chamaniques… entre autres choses.

Avec l’œuvre de Roustang on découvre une approche complexe, fine et érudite, de la pratique hypnotique. Sa relecture à partir des textes originaux par exemple de Hegel, de la méthode socratique, et plus largement sa grande connaissance des Sciences Humaines ont permis de révolutionner l’hypnose en l’ancrant dans l’histoire des idées. Et un premier paradoxe est là : si l’on résume souvent sa pratique autour de « Être (simplement) là », on oublie que le chemin pour y parvenir est ardu, presque initiatique, et surtout prend ancrage dans une conceptualisation solide qui lui donne toute sa légitimité. Comme ce grand intellectuel aimait à le rappeler, il faut apprendre si l’on veut désapprendre, il faut savoir pour ensuite se délester de ce qui est su, et inviter l’autre – le patient – dans ce mouvement de réinvention. La « passion de l’ignorance » n’a pas sa place pour qui souhaite être sensibilisé à l’approche de Roustang. A l’instar d’un Rogers ou encore d’un Erickson dont il évoquait volontiers la pratique clinique, la constellation Roustang est faussement simple d’accès. Faire l’expérience de « l’impersonnalité » (pour reprendre son terme) n’est paradoxalement pas donné à tous… Ce d’autant que son souhait était de ne pas faire école (il avait trop bien connu Lacan…) et qu’il fuyait y compris ses propres mots – tel le concept de « perceptude », qu’il a fini par peu citer – lorsqu’il craignait qu’ils soient employés comme des « machins », de jolies boites privées de contenu.

Il n’est évidemment pas possible de retracer en quelques lignes tous les apports de Roustang notamment en matière d’hypnose, le mieux étant de toute façon de le (re)lire pour découvrir cela. Je souhaite cependant souligner trois aspects qui me semblent être des apports essentiels, en même temps que trois piliers fondamentaux à sa façon de comprendre la transe.

La corporéité : en mettant le percept et la sensorialité au centre de la pratique de l’hypnose, Roustang invite les sciences biomédicales et psychologiques à se pencher autrement sur le berceau de la transe. Il rappelle à la médecine l’importance de la phénoménologie, de « l’intimement vécu », et il rappelle à la psychologie que c’est bien du corps somatique que part le vécu qu’elle écoute. Autrement dit, Roustang propose que la transe soit un lieu de rencontre des sciences autour d’un tout, une « intelligence du corps » comme il l’a nommé. Cette approche qui enterre définitivement le sacro-saint « modèle bio-psycho-social » peut sembler aller de soi. Elle est pourtant d’une grande transgressivité, car opposée à nos façons actuelles de pratiquer le soin et d’approcher l’humain. En cela, replacer le percept au centre de l’hypnose constitue un défi lancé aux neurosciences, à la médecine, à la psychologie et à l’ensemble des disciplines pour approcher ce qui, par nature, échappe aux mots, car dès que le percept se décrit, il cesse d’être pour devenir une expérience vécue et relatée.

La présence : Roustang invite à une relecture de la dimension relationnelle qu’installe la pratique de l’hypnose. L’importance de la relation en hypnose est connue de tous, et approchée par les grands auteurs de l’hypnose comme le cœur des effets thérapeutiques. Roustang amène quant à lui la notion de posture pour l’aborder ; une notion qui possède sans doute des accointances avec nombre de conceptualisations par exemple orientales, mais qui est ici un fait relationnel. On est en posture avec l’autre et c’est cette posture adressée à l’autre, le patient, qui questionne la capacité de ce dernier à vivre les choses autrement. En cela, la posture du thérapeute est un défi à la capacité de changement du patient : saura-t-il réellement se saisir de ce qu’il prétend rechercher?

– Le geste : comme l’ensemble des pratiques en hypnose (depuis Mesmer) l’approche de Roustang s’appuie sur le principe d’analogie. Pour la petite histoire, à la suite d’un échange avec lui sur ce point, il avait demandé aux éditions DeBoeck de me publier et se sera sous le titre « Hypnose clinique et principe d’analogie »  que cela se fera. L’idée méritait donc que l’on s’y attarde ! Il est cependant à noter que jusqu’à Roustang, les constructions analogiques étaient surtout employées sous la forme de suggestions verbales, de construction d’images métaphoriques, de contes hypnotiques, etc. c’est à dire se cantonnaient essentiellement au langage. Roustang a placé quant à lui de façon inédite ces analogies dans le « geste » : l’irruption du mouvement, le travail du sensoriel vivant, la mise en scène en 3D de « l’intelligence du corps », au sein d’une relation thérapeutique qui s’y prête.

Ces trois aspects, succinctement présentés, me semblent angulaires dans la pratique de l’hypnose selon l’approche de Roustang. Le travail de la posture, la fait de savoir s’installer, se poser avec l’autre, de laisser la musicalité de l’instant donner du relief à nos perceptions (ou l’inverse !) est en fait un travail d’une densité incroyable, et j’ajouterais volontiers, d’une sensualité assumée. Si la pratique de Roustang est construite autour de ce « travail de l’instant », presque d’un « immédiat », pour autant cette simplicité apparente prend racine dans une pensée solide, dense, qui fait de Roustang un grand penseur de l’âme humaine (le « Vivant ») au-delà de la « simple » hypnose.

Je finirai par quelques mots plus personnels, car ils reflètent aussi le personnage que Roustang était. Il a été pour moi – et continue à être – un maître au sens essentiel du terme : une personne qui vous chauffe à blanc pour vous donner une forme que jamais plus vous ne quitterez, que vous suiviez son chemin ou non, que vous soyez en accord ou non avec l’ensemble des aspects transmis par le modèle. « Chauffer à blanc » dans un mélange de bienveillance, de provocations, de rudoiements, et de tendresse. Au fil de nos échanges successifs, depuis notre première rencontre en formation à l’IFH, jusqu’à notre dernier échange cet automne, il n’a cessé d’être ce maître, même lorsque son corps était mis à rude épreuve. Y compris lors de notre dernière rencontre, l’empreinte de sa présence continuait à être surprenante, intense, curieuse, érudite et posée. Car tout cela ne sont pas que des mots, en bon maître il incarnait à chaque instant sa pratique en lançant des « c’est pourtant si simple ! », accueillis avec un sourire qui mesurait tout le chemin restant à parcourir pour arriver à cette « simplicité » là… La route se poursuit… Merci, François Roustang.

Propositions pour se replonger dans Roustang par :

  • Un écrit : trois préfaces clefs : celle au « Magnétisme animal » de Hegel (PUF), celle à son recueil « Jamais contre, d’abord » (Odile Jacob) et enfin celle à l’ouvrage de son ami Gaston Brosseau « L’hypnose, une réinitialisation de nos cinq sens » (InterEditions)
  • Un documentaire : « François Roustang, il se fait tard » (Label Kantoor)
  • Une inspiration qu’il citait : « Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc » (Eugen Herrigel, Dervy)
  • Un poème : « les correspondances », Charles Baudelaire
  • Une musique : l’introduction aux « 7 dernières paroles du Christ en croix », J. Haydn

 

 

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