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Édito mars 2019 – Vianney Descroix

Vianney Descroix, Professeur des Universités à la faculté de chirurgie dentaire (Université Paris Diderot), Chef de Service du Service d’Odontologie de l’Hôpital de la Pitié Salpêtrière (APHP, Paris), et Formateur à l’IFH.

« Je veux vouloir »

Nous le savons le temps qui passe est une drôle de chose. Il n’est jamais assez court ou jamais assez long. Il est tout autant frustration qu’impatience. Et quand il s’agit de maîtriser un art, sans nul doute, il façonne le geste moment après moment. Il faudra ainsi beaucoup de temps pour qu’un geste soit enfin pur, précis, incisif et… rapide. A la manière de Talleyrand nous pourrions suggérer que plus nous sommes pressés et plus il faut prendre son temps.
Combien de temps a -t-il fallu à Karl Lagerfeld, Pablo Picasso ou Glenn Gould pour façonner leur art avec autant de chic et d’élégance ?
La question du temps s’invite ainsi de façon récurrente pour tous ceux qui s’apprêtent à apprendre et à pratiquer l’hypnose. Qui n’a pas été un jeune « progressant » frustré de ne pas pouvoir tout savoir faire, là tout de suite, maintenant. Combien de temps pour arriver à comprendre qu’il suffit d’un geste ?
L’hypnose, comme tous les arts, a nécessairement besoin de ce temps si nous voulons en maîtriser toutes les subtilités.
En écrivant ces mots, c’est à Christiane que je pense.
Je l’avoue sans rougir, Christiane fait partie de mon Panthéon de patients, vous savez ceux qui vous remuent un peu plus que les autres.
Christiane perd sa maman en 1940, alors qu’elle n’a que 4 ans, en pleine guerre. Elle mène une vie riche d’embûches et de plaisirs. Une vie simple comme tellement d’autres, et en même temps tellement unique.
Quand je rencontre Christiane, elle a 83 ans, et vient me voir pour trouver une solution à ses douleurs de névralgie trigéminale. Son mari, qui l’accompagne depuis 65 ans, est présent à chacun de nos rendez-vous. Alors que toutes les thérapeutiques médicamenteuses courent à l’échec, Christiane me demande un peu désabusée des séances d’hypnose. Dubitatif, j’accède à sa demande et nous nous lançons dans quelques séances à visée analgésique.
L’hypnose bouleverse Christiane, qui s’approprie la technique en pratiquant quotidiennement l’auto-hypnose avec toujours plus d’application et de sérieux. Elle réifie sa douleur en un « tout petit œuf de caille » qu’elle s’applique tous les jours à réduire un peu plus.
Du haut de ses 83 ans, me fixant de ses yeux bleus intenses, elle me déclare lors d’une séance : « l’hypnose m’a appris que dans la vie, il faut vouloir. Et moi, je veux vouloir ! »
Je lui suis depuis, infiniment reconnaissant de cette magistrale leçon d’hypnose, de ce joli cadeau qu’elle m’a fait. En vérité, de cette leçon de vie.

Nous ne le dirons jamais assez, apprendre l’hypnose, pratiquer l’hypnose, vivre l’hypnose ne sont pas choses faciles et intuitives. C’est d’abord et avant tout une question de vouloir. Non pas une volonté aveugle et stérile, mais cette volonté mobilisatrice de sens. De celle qui est de l’ordre du désir. Voilà sans doute où se trouve une part de la magie de cet art, comment il permet à celui qui le pratique de remettre au cœur de son existence la responsabilité de vouloir et de s’autodéterminer.
François Roustang nous l’apprend, l’hypnose apparaît comme l’éveil à un art de vivre1. Nous y voyons pour notre part une forme de spiritualité, elle nous permet de (re)trouver « un sens aux expériences de l’existence et de comprendre l’esprit des choses »2. Et parce que nous sommes condamnés à être libres, l’hypnose nous permet d’être les configurateurs de notre réalité. Ne nous laissons pas berner, l’hypnose demande beaucoup d’efforts et de pratique, elle requiert une très grande exigence et ne se laisse pas approcher aussi aisément qu’il y paraît.

L’hypnose est comme la nage papillon, elle ne s’apprend pas dans les livres mais dans une répétition quotidienne de chaque mouvement, de chaque geste, l’un après l’autre dans une construction expérientielle qui demande du temps, de la patience et beaucoup de cette belle volonté mobilisatrice de ressources. En un mot, il faut vouloir.

 

1 Francois Roustang. Il suffit d’un geste. Odile Jacob 2003.
2 Thierry Janssen. La maladie a-t-elle un sens ? Paris, Fayard. 2008.

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