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Recherche : 2014 verra-t-elle la fin d’un paradigme ?

Par Antoine Bioy, Responsable Scientifique de l’IFH
Professeur de psychopathologie et psychologie médicale (Université de Bourgogne) – Docteur en psychologie clinique

La fin de l’année 2013 a été marquée par une recrudescence des évaluations « Evidence Based Medecine » en hypnose. Par exemple, Dickson-Spillmann et collaborateurs (2013) montrent qu’une séance unique d’hypnothérapie permet de maintenir un comportement d’abstinence chez 15% des fumeurs (évaluation à 6 mois). Un niveau de résultat assez habituel dans les méta-analyses depuis plusieurs années, et qui flirte avec la moyenne des méthodes alternatives et complémentaires, comme le montre une nouvelle étude portant sur près de 55000 patients (Hamm et al, 2013) : toutes méthodes MAC (« médecines alternatives et complémentaires ») confondues, on est aux alentours de 15% de réussite pour le sevrage tabagique. Etonnant ? Pas tellement, nous y reviendrons.

Beaucoup de redondances, en fait, ce dernier trimestre en recherches, comme l’intérêt que peut présenter l’hypnose dentaire (Armfield et Heaton, 2013) ou bien celui des effets positifs en post-opératoire d’une prise en charge « pré-op » par hypnose (Nelson et al, 2013), ou encore celle de l’usage de l’hypnose dans les procédures pédiatriques (Adinolfi & Gava, 2013 ; Uman et al, 2013). La pression de plus en plus importante mise sur les chercheurs pour publier nourrit certainement cet effet de mise en place d’études simples, peu créatives, que l’on oublie vite, mais facilement publiables car répondant aux critères de diffusion scientifique les plus consensuels.

Par contre, Kekecs et Varga (2013) font une intéressante revue de la littérature concernant les études où est étudié l’impact sur les soins des suggestions positives ou négatives. Au final, on ne peut dégager des règles dans l’absolu et affirmer par exemple qu’un langage positif va forcément engager le patient dans de meilleures dispositions par rapport aux soins. La variabilité des conclusions (parfois contradictoires) plaide pour établir des conclusions plus fines, travail qu’assez curieusement aucun auteur n’a encore fait. Les chercheurs avancent notamment l’hypothèse qu’une dimension importante serait l’usage de suggestions adaptées au bénéficiaire, et non l’emploi de suggestions standardisées. Sans doute que l’on peut trouver là une explication aux résultats parfois décevants retrouvés dans les recherches standardisées par rapport à la réalité du terrain (concernant le sevrage tabagique, notamment). C’est évidemment là toute la différence entre la communication et la dimension de la relation, la première n’étant qu’une dimension technique participant de la seconde. Varga et Kekecs montrent d’ailleurs que des variations d’ocytocine avant et après une séance d’hypnose ne sont pas fonction de l’aptitude à l’hypnose des patients mais bien au ressenti relationnel des patients (2013).

Ce type d’études ouvre des perspectives intégratives importantes (Zelinka et al, 2013), qui ont déjà commencé à naître, comme en obstétrique (Lim et al, 2013). A noter également une intéressante expérience d’hypnose appliquée au domaine des risques psychosociaux, dans une usine de vêtements, associée à un entrainement physique (Roja et al, 2013), là aussi car elle engage une « pensée complexe », qui sort de la linéarité « test/retest » qui appauvrit la pensée et les pratiques si on n’en reste qu’à cette dimension. C’est une évidence de dire que la perspective intégrative est l’avenir de l’hypnose, comme celle de nombreuses pratiques. Au contraire des études rêches et peu intéressantes que nous citions, se trouvent celles qui commencent à explorer de nouveaux paradigmes, en intégrant des modèles différents à la recherche de facteurs complémentaires voire identiques qui, certes, vont vers la complexité, mais pour améliorer les pratiques étudiées. 2014 verra-t-elle leur éclosion réelle ?

Finissons par deux synthèses françaises de qualité. La première est à porter au bénéfice de Burlaud autour de l’emploi de l’hypnose en gériatrie, un domaine un peu « parent pauvre » qu’il est important de ne pas oublier. L’autre est de Bonaz et Pellissier autour de l’axe « cerveau-intestin ». Un article remarquable de clarté, où une synthèse autour de l’hypnose est proposée, en rappelant l’actualité du modèle de Whorwell proposé en 1989 sur les troubles gastro-intestinaux, mais aussi en rappelant les bénéfices possibles sur la sensibilité viscérale, ainsi que sur la réponse immunitaire avec une diminution du taux d’IL6 plasmatique.
Si donc il vous reste quelques soucis gastriques post fêtes de fin d’année, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Références bibliographiques

Adinolfi B, Gava N. “Controlled outcome studies of child clinical hypnosis”. Acta Biomed. 2013 Sep 1;84(2):94-97.
Armfield J, Heaton Lj. “Management of fear and anxiety in the dental clinic: a review”. Aust Dent J. 2013 Dec;58(4):390-407.
Bonaz B, Pellissier S. « Mon cerveau et mon intestin communiquent, parfois mal ! » Pratique Neurologique – FMC 2013;4:240–257

Burlaud A. « Hypnose en gériatrie : un outil thérapeutique supplémentaire ». NPG Neurologie – Psychiatrie – Gériatrie (2013) 13, 317—320
Dickson-Spillmann M, Haug S, Schaub MP. “Group hypnosis vs. relaxation for smoking cessation in adults: a cluster-randomised controlled trial”. BMC Public Health. 2013 Dec 23;13(1):1227.
Hamm E, Muramoto ML, Howerter A, Floden L, Govindarajan L. “Use of Provider-Based Complementary and Alternative Medicine by Adult Smokers in the United States: Comparison From the 2002 and 2007 NHIS Survey”. Am J Health Promot. 2013 Dec 20.
Kekecs Z, Varga K. “Positive suggestion techniques in somatic medicine: A review of the empirical studies”.
Interv Med Appl Sci. 2013 Sep;5(3):101-111.
Lim CE, Ng RW, Xu K. « Non-hormonal methods for induction of labour”. Curr Opin Obstet Gynecol. 2013 Dec;25(6):441-447.
Nelson EA, Dowsey MM, Knowles SR, Castle DJ, Salzberg MR, Monshat K, Dunin AJ, Choong PF. “Systematic review of the efficacy of pre-surgical mind-body based therapies on post-operative outcome measures”. Complement Ther Med. 2013 Dec;21(6):697-711.
Roja Z, Kalkis V, Roja I, Kalkis H. “The effects of a medical hypnotherapy on clothing industry employees suffering from chronic pain”. J Occup Med Toxicol. 2013 Sep 25;8(1):25.
Uman LS, Birnie KA, Noel M, Parker JA, Chambers CT, McGrath PJ, Kisely SR. “Psychological interventions for needle-related procedural pain and distress in children and adolescents”. Cochrane Database Syst Rev. 2013 Oct 10;10:CD005179
Varga K, Kekecs Z. “Oxytocin and Cortisol in the Hypnotic Interaction1”. Int J Clin Exp Hypn. 2014 January-March;62(1):111-128.
Zelinka V, Cojan Y, Desseilles M. Hypnosis, “Attachment, and Oxytocin: An Integrative Perspective”. Int J Clin Exp Hypn. 2014 January-March;62(1):29-49

Article paru dans la revue hypnose et thérapies brèves n°32
Février / Mars / Avril 2014
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