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Gaston Brosseau – Bilan d’une master class

Gaston Brosseau propose dans la revue hypnose et thérapies brèves un bilan de la master class qu’il a animé en juillet à l’IFH et plus généralement une réflexion sur la transmission, les objectifs pédagogiques qu’il poursuit dans de tels séminaires ainsi que sur le rôle du thérapeute en consultation.

Gaston Brosseau est psychologue, ancien chef de service de psychologie à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont de Montréal. Chargé d’enseignement aux facultés de médecine des universités de Montréal et de Sherbrooke.

AUTOUR DES « CLASSES DE MAÎTRE »…
GRIFFÉES DIOR, YVES SAINT LAURENT OU VERSACE

« Ne vous fiez pas au titre de ce texte, il fallait bien lui donner un petit accent accrocheur ! En fait, je vais parler pour ma paroisse, beaucoup même, et relater mon expérience de formateur invité à donner des classes de maître, d’une journée, de deux jours, de trois jours et même de cinq jours consécutifs en France et au Québec.

D’abord, si vous êtes du groupe des formateurs invités, c’est que vous êtes probablement dans la profession depuis belle lurette. Ça commence à prendre des allures d’hommage funèbre qui s’installe en douceur et qui vous rappelle que votre temps de jeu commence à tirer à sa fin avant que vous commenciez à devenir trop grincheux et à vous répéter obstinément.

Sans oublier, il va sans dire, le côté quelque peu prétentieux, voire flatteur doublé d’un soupçon de narcissisme de bon aloi… qu’il faut assumer en toute petite dose pour ne pas s’égarer. Je m’explique. Lorsque j’ai dit oui à l’invitation de donner ma récente classe de maître de cinq jours ou 36,5 heures de formation, au mois de juillet 2014, je me suis posé la question suivante : « Mais quelle prétention, mais quelle montée d’adrénaline nous amène à accepter une telle proposition ? » Vu d’un autre angle, c’est l’équivalent de tenir un congrès de cinq jours avec un seul conférencier et de penser susciter l’intérêt de chacun des congressistes. Avez-vous participé à un congrès de cinq jours, si intéressant soit-il ? Personnellement, après trois jours, je suis parfaitement saturé de connaissances et je plie bagage, nonobstant la qualité des différentes présentations. Et vous ?

Prétentieux, oui et non ! NON, si l’on comprend vraiment la portée que j’accorde à une telle classe.

Alors, qu’est-ce qu’une classe de maître et dans quelle mesure se distingue-t-elle d’une formation dite de perfectionnement ou avancée.

A mon avis, une classe de maître se dit d’un enseignement qui se veut un transfert de compétence à des collègues, concernant une théorie originale qui découle de l’intégration de différents concepts. Une théorie n’a d’intérêt que dans la mesure qu’elle soit utilisable par une collectivité d’intervenants. Elle vise à transcender la connaissance de techniques pour aboutir à l’art de la thérapie.

Prétentieux, NON, parce que ce qui doit ressortir d’une classe de maître c’est ce qu’on est comme thérapeute plutôt sur ce que l’on sait, contrairement à une formation de perfectionnement qui est avant tout axée sur l’accumulation de connaissances didactiques ou cliniques. Reconnaissons que ça peut avoir l’air quelque peu prétentieux au tout début d’une classe de maître, d’annoncer à l’auditoire que pour les cinq jours qui suivront, vous allez apprendre à connaître plus qui est le formateur que ce qu’il sait.

On pourra m’argumenter que je joue sur les mots en disant d’une part dans ma définition que j’appuie sur l’importance du transfert de compétences concernant une théorie originale, et que d’autre part, je priorise dans mon propos le « ce que tu es » comme thérapeute au détriment du « ce que tu sais ». Ça mérite une explication. Attardons-nous sur les mots « transfert de compétences ». Le mot compétence prend alors toute la dimension qui favorise l’installation de l’alliance thérapeutique. Souvenez-vous qu’un client qui désire un deuxième rendez-vous le demande parce qu’il a compris qui vous êtes pour lui, beaucoup plus que votre savoir académique. Probablement, il a déjà consulté d’autres thérapeutes dans sa vie qui possédaient plusieurs diplômes universitaires, mais, et c’est « LA » grande différence, le client ne parvenait pas à connecter avec son interlocuteur et vice versa. Parce qu’au premier rendez-vous, il ne vous connaît pas ou tout au plus quelqu’un lui a suggéré de venir vous voir. L’alliance thérapeutique c’est ça, c’est ce que vous êtes pour lui, et cela n’a rien à voir avec votre bagage universitaire.

Je revêts mon manteau de sage en osant dire que dans la vie on pourra toujours vous déposséder de ce que vous avez (vos biens, par exemple), mais jamais de ce que vous êtes (votre identité). Donc, une formule simple à retenir : « On pourra toujours t’enlever ce que tu as, mais jamais ce que tu es. »

Ne vous donnez pas la peine de vous inscrire à une classe de maître si vous êtes encore à la recherche de connaissances, et j’ajouterai, de vous blinder d’une zone de confort sécurisante en accumulant le plus de connaissances possibles. Pour moi, ce ne devrait pas être l’objectif d’une classe de maître. Attention, je n’ai pas dit qu’il faut minimiser les connaissances comme telles, mais parvenir à dépasser l’inquiétude de se retrouver sans savoir quoi dire au patient. De toute façon, il ne vous écoute pas vraiment, puisqu’il est trop préoccupé, bien souvent, à exprimer sa plainte. Au fond des choses, le savoir, c’est ce qui nous reste lorsqu’on a tout oublié… c’est-à-dire soi. Si votre tasse est déjà trop remplie de connaissances, alors videz-la à l’occasion pour faire place à ce que vous êtes pour l’autre.

Je continue l’analyse de ma définition en revenant sur la phrase « une théorie originale découlant de l’intégration de différents concepts ». Une évidence, je n’aurais jamais accepté de donner des classes de maître pour faire l’apologie d’une théorie de quelqu’un d’autre. On appelle plutôt cela donner de la formation. Par contre, lorsque vous décortiquez comment vous êtes arrivé à saisir les différentes facettes d’un processus thérapeutique (je fais référence à ma vingtaine de concepts, mon propre vocabulaire, etc.)1 à travers votre propre cheminement professionnel, il y a plus que des connaissances que vous communiquez alors. Vous parvenez à transcender la connaissance comme telle pour aboutir à l’art de la thérapie, soit le but ultime d’une classe de maître.

Maintenant, regardons le point capital d’une théorie si fascinante soit-elle. J’écris qu’une théorie n’a d’intérêt que dans la mesure qu’elle soit utilisable par les autres thérapeutes. Sinon, elle n’aura que la durée d’une étoile filante. Après quatre jours à m’évertuer paradoxalement à Ne rien faire 2, auprès de mon auditoire vigilant et motivé, je constate qu’à la cinquième journée, tous les stagiaires sont en mesure de s’approprier l’essentiel du fil conducteur de ma présence (ce que je suis comme thérapeute et non s’attarder à mes connaissances didactiques) pour s’absorber personnellement dans leur propre identité d’hypnothérapeute. La magie a opéré.

Quelle satisfaction pour moi de ne plus entendre de l’auditoire l’incontournable question : « Mais qu’est-ce vous lui avez dit comme induction ? » Les stagiaires ont compris que l’on fait mouche à tout coup lorsque le sujet arrive dans son propre langage à se dire à lui-même ce qu’il voulait entendre. Nous n’avons rien à dire ou à rajouter puisqu’il s’est nommé dans son processus de guérison. De conclure que les inductions préfabriquées n’ont d’intérêt que pour sécuriser avant tout… le thérapeute, il n’y a qu’un pas.

Sans donner de consigne spécifique, j’ai observé en ce cinquième jour de grâce pour moi, chez tous les stagiaires regroupés en binôme, leur capacité de s’offrir la quiétude de dépasser l’angoisse de trouver l’induction préfabriquée pour s’en remettre essentiellement à leur présence à l’autre (soit l’alliance thérapeutique, pierre angulaire de tout traitement efficient), faisant fi de tout le baratin supposément sécurisant colligé du parfait manuel d’hypnose classiquement enseigné. Ils ont tous su composer avec l’instant présent à partir d’un élément sensoriel de leur choix, évidemment non dicté par moi, comme point de repère. Chaque personne ignorait complètement l’élément travaillé par son vis-à-vis, et réciproquement, dans le jeu de rôle d’aidant-aidé et inversement. Tout ce beau monde est arrivé à la même conclusion : la guérison est de l’ordre vital subordonnée à l’actualisation des parties saines du sujet. Le thérapeute n’a rien d’autre à faire que d’être ce fil conducteur entre la personne et ce qu’elle désire vraiment changer en elle pour son mieux-être.

Faut-il le reconnaître, la guérison n’est pas de l’ordre mental, mais d’ordre vital. C’est donc la force présente en chacun de soi qu’il s’agit d’éveiller ou de réveiller. (Relire la préface de François Roustang)1. On invite alors le patient à tirer profit de ses forces vitales pour rétablir son état fonctionnel, plutôt que de faire appel à ses forces mentales qui sont classiquement sollicitées. D’où un changement majeur de paradigme dans le mode d’intervention thérapeutique. L’inéluctable anamnèse est alors reléguée aux oubliettes ou tout au moins négligée.

Plus une induction est courte, plus elle laisse de liberté au patient d’avoir recours à son propre langage, faisant appel instantanément à son propre univers, se retrouvant de fait même en lieu de connaissance. En contrepartie, cette façon de procéder signifie que vous avez développé cette assurance d’intervenant en vous dérobant pour lui donner tout l’espace pour se « réinitialiser ». A la limite, une nano-induction peut être même de nature silencieuse ou graphique. Vous découvrirez les capacités de votre patient de saisir l’occasion que vous lui offrez et votre satisfaction d’avoir à « ne rien faire » d’autre pour parvenir à des résultats tangibles en hypnothérapie. Mesure quantifiable, la nano-induction a le mérite d’être comprise facilement par le sujet qui s’en approprie immédiatement. Elle ne réclame aucun effort de pensée ni de volonté. Elle provoque des réactions automatiques. On frôle alors l’induction parfaite, rendant caducs les recueils d’inductions préfabriquées.

Pour guérir, il faut se réduire à l’état d’être humain. (Roustang, F.3, « Il suffit d’un geste », Odile Jacob, 2003). Cela suppose la capacité de mettre de l’ordre dans ses croyances. Plus une personne se libère de ses préjugés, de ses superstitions ou de l’importance qu’elle accorde aux signes de la vie, plus elle s’assume et se responsabilise dans son quotidien et sait composer avec ses limites.

L’hypnose dépouillée de son rituel classique ouvre des perspectives nouvelles en éliminant au passage les préjugés folkloriques inhérents à son image. Savoir explorer et exploiter la créativité de votre patient demeure l’outil thérapeutique à privilégier. Vous y parviendrez sans trop d’effort en lui proposant de l’accompagner dans un exercice qui sollicite sa stimulation sensorielle pour le ramener instantanément en temps présent. C’est par le biais des nano-inductions en lien avec le sens du toucher, de l’audition, de la vision, de l’odorat ou du goût, que vous arriverez à faire mouche.

Je conserverai un souvenir impérissable de cette classe de maître de cinq jours pour la satisfaction que cela m’a procuré de voir tout ce beau monde repartir avec cette sensation d’être maintenant un thérapeute efficient et transparent avec leur interlocuteur, et beaucoup moins préoccupé par l’aspect consignes ou inductions préfabriquées à se formaliser. »

Publications en lien avec la classe de maître

  1. L’hypnose, une réinitialisation de nos cinq sens. Auteur : Brosseau, G., InterEditions, Paris, 2012.
    Préface de François Roustang.
  1. Ne rien faire : l’induction paradoxale, Brosseau, G., in « L’hypnose aujourd’hui », coll. sous la direction de J.-M. Benhaiem.
  2. Il suffit d’un geste, Roustang, F., Odile Jacob, Paris, 2003.
  3. L’hypnothérapie en dix questions : le témoignage de G. Brosseau. Auteurs : Brosseau, G. ; Sitbon, H. ; Bioy, A. Perspective Psy, 44, 2005, In Press, Paris, 2005.
  4. CD : Ne rien faire, relaxer autrement… ou savoir réinitialiser sa vie, Brosseau, G., Production Passage, Sherbrooke, 2011.
  5. DVD : Gaston Brosseau, Pour une hypnose instantanée. Emergences-Rennes, 2012., www.emergences-rennes.com
  6. La thérapie instantanée, Brosseau, G., in « Changer par la thérapie », coll. sous la direction de Isabelle Célestin, Dunod, Paris, 2011.