Soins de support la pratique d’un infirmier en cancérologie

Dans cet article, Rémi Etienne, infirmier et formateur à l’IFH, témoigne de sa pratique de l’hypnose comme soin de support en cancérologie.
« Celle-ci est actuellement proposée sous plusieurs formes : en consultation, au bloc opératoire ou lors d’accompagnement moins formalisés pendant un geste douloureux. Plus généralement, l’hypnose participe en association avec les traitements standard à mieux contrôler certains symptômes en lien avec la maladie et les traitements. »

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Soins de support, la pratique d’un infirmier en cancérologie

par Rémi Etienne, Infirmier en équipe mobile de soins palliatifs à l’Institut de Cancérologie de Lorraine à Vandoeuvre-lès-Nancy (54) et Hypnopraticien référent au sein de l’établissement. Formateur à l’Institut Français d’Hypnose – Paris. Formé à l’IFH. 

L’annonce d’un cancer provoque chez la personne un important bouleversement existentiel. La pratique de Rémi en qualité d’infirmier lui permet d’accompagner les changements les plus accessibles aux patients.


Les récents progrès en matière diagnostique et thérapeutique contribuent à améliorer le pronostic des malades. A ce jour, chaque projet de soins proposé au patient est personnalisé et dépendant de nombreux paramètres, tels que : le type histologique de la tumeur, sa localisation, sa vitesse d’évolution, son extension à d’autres organes, la présence de comorbidités associées…

L’accompagnement  du patient en cancérologie s’inscrit dans une dimension pluridisciplinaire où de nombreux intervenants médicaux et paramédicaux jalonnent le parcours de soin. Les symptômes en lien avec la pathologie cancéreuse, ainsi que la lourdeur des traitements spécifiques (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie…), imposent la mise en place d’un accompagnement particulier. Les soins de support répondent à ces problématiques. « Ils se définissent comme une organisation coordonnée de différentes compétences impliquées conjointement aux soins spécifiques oncologiques dans la prise en charge des malades » (1). Ils peuvent être mis en place à n’importe quel moment de la maladie et regroupent de nombreuses disciplines : douleur, diététique, accompagnement social et psychologique, soins palliatifs, orthophonie, soins esthétiques…

Au sein de certains établissements, les soins de support ont ouvert la voie aux thérapies complémentaires. Une étude de 2011 (2) estime que 60 % des patients en oncologie y ont recours. Cette vision plus intégrative de la médecine a permis de faciliter le développement de l’hypnose médicale dans ce domaine. Celle-ci est actuellement proposée sous plusieurs formes : en consultation, au bloc opératoire ou lors d’accompagnement moins formalisés pendant un geste douloureux. Plus généralement, l’hypnose participe en association avec les traitements standard à mieux contrôler certains symptômes en lien avec la maladie et les traitements.

L’hypnose dans les douleurs induites ou chroniques

Le patient en cancérologie est exposé à de nombreux gestes potentiellement douloureux. Une croyance collective postule qu’une exposition répétée à la douleur diminue son ressenti et permet « d’endurcir » l’individu. Malheureusement, la réalité est bien différente et de nombreuses études scientifiques ont permis d’identifier les phénomènes de « sensibilisation centrale » et de « plasticité neuronale ». Ces notions précisent que plus une personne est exposée à la douleur, plus son seuil de tolérance diminue.

Le risque de voir s’installer une douleur chronique est également plus important (3). Le caractère invasif de certaines chirurgies carcinologiques et les nombreuses effractions cutanées nécessaires aux traitements de chimiothérapie, exposent le patient à de multiples iatrogénies. Ce dernier a parfois besoin d’un accompagnement bien au-delà de la période curative. Quel que soit le type de douleur rencontré, l’hypnose possède cette double particularité de permettre de dissocier la personne du percept douloureux, tout en agissant sur l’émotion qui lui est associée. L’accompagnement en hypnose lors d’un geste douloureux est différent d’un suivi en douleur chronique. En douleur aiguë, la séance se déroule sur une période délimitée, l’outil hypnotique permet au patient de passer « un cap » vis-à-vis d’une douleur ou d’une gêne.

L’éducation à l’autohypnose s’inscrit alors dans une dimension préventive et permet à la personne d’utiliser cette technique en cas d’exposition à un nouveau geste invasif. En douleur chronique, l’hypnopraticien intervient pour traiter une douleur déjà installée, l’objectif est différent puisqu’il vise à rendre une sensation douloureuse plus acceptable voire à la faire disparaître. Dans le cadre de suivis réguliers, il est important que le praticien s’adapte à la situation thérapeutique et propose au patient de s’impliquer dans des objectifs réalisables en fonction de son niveau de fatigue. Plus largement, l’hypnose médicale s’inscrit dans un véritable projet d’éducation thérapeutique, nécessitant une participation active de la personne dans les exercices.

De l’inconfort à la réification

Madame L., 70 ans, vient me consulter sur les conseils du médecin algologue de l’établissement, pour des douleurs d’allures neuropathiques au niveau du bras et du creux axillaire gauche. Ces douleurs sont permanentes depuis six mois et sont apparues à la suite d’une mastectomie totale et d’un retrait de la chaîne ganglionnaire, dans un contexte de cancer du sein non métastatique. Les douleurs ont débuté juste après le geste opératoire et sont présentées par la patiente comme des sensations de brûlures intenses et de décharges électriques. Il existe également une hyperesthésie au tact ainsi qu’une sensation de lourdeur, qui majore l’inconfort, notamment à l’habillage. Lors de notre rencontre la patiente me précise que malgré les traitements antidouleur, la gêne reste persistante et commence à retentir sur sa qualité de vie et sur son sommeil.

A la fin de cette première consultation et de l’anamnèse, je propose à la patiente d’expérimenter une réification. Cette technique me permet de confirmer sa dominante sensorielle et de préciser le retentissement du symptôme sur les différentes composantes physique, émotionnelle, cognitive et comportementale du phénomène douloureux.

Lors de la séance, Madame L. évoque une grosse boule rouge, mobile, présentant de nombreux « piquants brûlants » à la surface. Elle me précise que cette mobilité permanente est très fatigante, qu’elle ne sait pas comment arrêter le déplacement de cette boule. Afin de favoriser la transformation de cette image, je suggère à la patiente de prendre le temps nécessaire pour déterminer l’aspect qui serait le plus facilement modulable. J’utilise la technique du choix illusoire pour faciliter le travail cognitif : « Je me demande lequel des éléments de cette boule vous allez pouvoir modifier en premier ? Est-ce que c’est sa forme ? Sa couleur ? Sa mobilité ? Ou peut-être encore autre chose, ou peut-être plusieurs choses à la fois ? »

Après quelques secondes d’hésitation, Madame L. m’indique qu’elle est parvenue à changer la couleur de la boule en la peignant en bleu à l’aide d’un pinceau. Je lui demande si ce changement de couleur a modifié quelque chose au niveau de ses perceptions ou de ses sensations ? Elle me précise que la boule lui semble plus inoffensive et presque tiède. Je ratifie ses nouvelles impressions en proposant des suggestions post-hypnotiques adaptées. Je lui propose de revenir à son rythme « ici et maintenant » et de garder dans son esprit toutes les choses importantes et utiles pour elle-même. Au terme de cette séance, Madame L. se sent beaucoup plus calme et confortable qu’au début de l’entretien. Deux semaines plus tard, lors de la séance suivante, les douleurs sont plus supportables et la qualité du sommeil s’est nettement améliorée. Ces changements me permettent de proposer un travail plus spécifique autour du ressenti douloureux et de son contrôle quotidien. Je lui suggère un exercice inspiré du « gant magique » que je travaille avec elle en auto-hypnose à la fin de chaque séance. Je reste également attentif à la manière dont elle l’intègre dans son quotidien.

Le principe de l’entonnoir

Cet exemple expose succinctement une manière d’aborder la notion d’inconfort et les troubles que peut connaître le patient douloureux atteint de cancer. Ce témoignage propose d’illustrer une approche plus large du phénomène douloureux. L’image d’un « entonnoir » est intéressante pour comprendre la façon d’aborder les multiples symptômes associés qui, dans cette situation, évoluent en interdépendance. Par analogie avec le processus hypnotique, prendre en compte l’ensemble des symptômes permet de mettre en lumière celui qui est le plus accessible au patient en termes de modification ou de changement. Accueillir l’anxiété, l’insomnie, le repli et la douleur du patient avec la même considération, c’est aussi s’autoriser en tant que praticien à n’avoir aucune certitude. C’est observer patiemment, avec le recul nécessaire, la façon dont le patient peut se « désinvestir » de son inconfort. Il est d’ailleurs toujours difficile pour le soignant d’identifier les mécanismes qui impulsent un changement thérapeutique durable et efficace. Ici, Madame L. semble s’être saisie des suggestions et a modifié l’élément qui lui semblait le plus accessible. Le changement de couleur marque le début du soulagement et de la prise de contrôle sur le symptôme.

Cette démarche est applicable à d’autres manifestations cliniques en lien avec la pathologie cancéreuse. Pendant mes consultations, je propose également de suivre des patients souffrant d’autres troubles, tels que les bouffées de chaleur hormono-induites, les nausées d’anticipation en lien avec les traitements de chimiothérapie, la claustrophobie avant certains examens à risque (IRM, scanner, radiothérapie avec contention…) (4).

En tant qu’infirmier, la pratique de l’hypnose en cancérologie m’a permis d’aborder la notion d’inconfort sous une perspective plus large, intégrant l’ensemble des plaintes associées quel que soit le symptôme dominant. L’hypnose m’a également fait prendre conscience de la capacité que chaque individu possède à modifier ses représentations et ses sensations. Pour conclure, je pense que cette pratique a toute sa place dans le domaine de la cancérologie et que l’infirmier hypnopraticien occupe une place de choix pour accompagner les patients quel que soit le contexte thérapeutique.


(1) Définition de l’AFSOS (Association francophone pour les soins oncologiques de support). www.AFSOS.org

(2) Brugirard M. et al. (2011), Support Care Cancer.

(3) Lewis S.M., Dirksen S.R., Heitkemper M.M., Bucher L. (2014), « Medical-Surgical Nursing: Assessment and Management of Clinical Problems », Elsevier, 9e, 119-120.

(4) Charret J., Etienne R., Renard-Oldrini S., Henry A., Peiffert D. (2015), « Autohypnose par ancrage pour la radiothérapie nécessitant une contention », Cancer/Radiothérapie, 19, 674.


Articles

– « Hypnose et douleurs chroniques » (2015), Aïe n° 5.

– « Infirmier hypnothérapeute, une spécialité à promouvoir » (2013), La Revue de l’infirmière, vol. 62, n° 191, p. 30.

Publication

– Charret J., Etienne R., Renard-Oldrini S., Henry A., Peiffert D. (2015), « Autohypnose par ancrage pour la radiothérapie nécessitant une contention », Cancer/Radiothérapie, 19, 674.

– Ouvrage « Aide-mémoire d’hypnose en soins infirmiers », Dunod, 2016.


HTB-42-100Article paru dans la revue hypnose et thérapies brèves n°42
Août / Septembre / Octobre 2016
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Institut Français d'Hypnose

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