L’hypnose par François Thioly, Psychiatre

Le mot d’hypnose a été introduit en 1842 par James Braid, chirurgien de Manchester sous la forme de « neuro-hypnotism », abrégé en  » hypnotism « , d’après le grec hupnos (sommeil) pour désigner le processus par lequel on induit par suggestion un état comparable à un profond sommeil.

Cette étymologie continue, de nos jours, à influencer la représentation qu’on se fait d’un ensemble de phénomènes aux frontières floues, mais dont il est prouvé qu’ils n’ont aucun rapport avec le sommeil.

Si la réalité de l’hypnose n’est plus contestée, il n’y a pas de définition, ni de théorie sur lesquelles se fasse un accord unanime ; certains considèrent qu’il s’agit d’un état de conscience spécifique, différent de la veille et du sommeil, impliquant un fonctionnement neuro-physiologique particulier, dont nos moyens d’investigations sophistiqués n’ont cependant pas trouvé de marqueur distinct ; d’autres contestent la réalité d’un état spécifique et considèrent qu’il s’agit plutôt d’une sorte de rôle qu’un sujet est amené à tenir dans certaines conditions psychologiques particulières.
De ces oppositions sont nées d’innombrables travaux et controverses où le rapport qu’entretiennent hypnose et suggestion tient une place centrale : en effet, les « anti-étatistes » ramènent volontiers l’hypnose à la seule suggestion ainsi que le fit originellement Bernheim, là où leurs contradicteurs soulignent l’existence d’états hypnotiques s’accompagnant d’une absence complète de suggestibilité.

De fait, on pourrait disposer les différentes formes qu’on reconnaît à l’hypnose le long d’un continuum qui irait de la « transe commune », état de rêverie banal que chacun d’entre nous expérimente lorsque qu’aucune pensée précise, aucune stimulation extérieure bien distincte ne retient notre attention, jusqu’au spectaculaire somnambulisme artificiel, avec son cortège de manifestations extraordinaires qui frappent l’imagination et portent aisément à y voir la marque du surnaturel. Ces manifestations extrêmes (qui sont aussi les plus rares) entretiennent des rapports évidents, mais diversement commentés, avec toutes formes de transes, possessions, extases etc… sans qu’il semble légitime pourtant de réduire les unes aux autres, tant la compréhension qu’on peut en avoir est indissociable des conditions de leur mise en œuvre, extrêmement diverses (mode d’induction, fonction sociale, contexte culturel).
Qu’il s’agisse d’ailleurs des divers types de transes que connaissent tant de civilisations traditionnelles, ou de l’hypnose – où l’on peut voir la forme moderne et laïque de la possession – on ne saurait trop insister sur cette dimension culturelle, qui module, donne sens et assure la pertinence sociale de manifestations s’originant vraisemblablement à une aptitude très générale de notre esprit à développer transitoirement des états modifiés de la conscience.

La grande sensibilité au contexte de ces états modifiés se retrouve dans l’hypnose moderne, que ce soit au laboratoire ou dans un cadre thérapeutique (voire au music-hall) ; la nature de l’état obtenu dépend de nombreux facteurs : l’induction, qui est la procédure qui favorise l’entrée en hypnose ; la nature de la relation que l’hypnotiseur instaure avec son sujet, et bien sûr, certaines caractéristiques propres au sujet lui-même : presque tout le monde est capable d’accéder à une transe légère dans le cadre d’une induction permissive à fin thérapeutique, mais seuls 1 à 10 % des sujets accèdent à une transe somnambulique. Parmi ces caractéristiques personnelles, citons les attentes et les croyances, mais aussi certains traits de personnalité qui favorisent ou, au contraire, contrarient la capacité à se laisser aller à l’hypnose, à « lâcher prise ».
Le plus souvent, l’induction hypnotique comprend une fixation de l’attention du sujet. Cette fixation peut être imposée avec autorité : hypnose directive telle que pratiquée au siècle dernier, hypnose de music-hall ; ou être proposée de manière beaucoup plus permissive, ainsi que l’on procède le plus souvent de nos jours. Mais tout ce qui contribue à diminuer la vigilance du sujet par déprivation sensorielle, comme le font les stimulations répétitives (« passes magnétiques »), peut servir à l’induction hypnotique. Soulignons à ce propos que l’induction d’un état hypnotique ne requiert aucun pouvoir particulier, mais seulement l’apprentissage d’une technique ; cependant la croyance du sujet en l’existence d’un pouvoir détenu par l’hypnotiseur conditionne fortement l’état qu’il atteindra : c’est le sujet lui-même qui fabrique sa transe (ou sa résistance : il est toujours possible de ne pas se laisser faire par une induction).

L’individualisation de l’hypnose est récente, contemporaine de l’effort d’émancipation de la pensée rationnelle qui prolongea les conquêtes de la philosophie des Lumières. C’est en effet au XVIIIème siècle qu’elle a débuté sa carrière « scientifique », sous l’impulsion d’un médecin Autrichien, Franz Anton Mesmer, alors installé à Paris, qui a donné le nom de « magnétisme animal » à une forme de thérapie reprenant à son compte, et sur un mode qui se voulait rationnel, des pratiques à l’existence aussi ancienne que l’humanité. Mesmer montra qu’il pouvait parvenir aux mêmes résultats qu’un exorciste célèbre de l’époque, le curé Gassner. Sa méthode thérapeutique, qu’il voulait médecine universelle, se proposait de rétablir la libre circulation du « fluide magnétique » après avoir déclenché et amplifié une « crise » libératrice, équivalent laïque des convulsions des possédés. A la suite du médecin Anglais Richard Mead, Mesmer pensait que l’effet gravitationnel des planètes affectait un fluide invisible circulant dans l’organisme comme partout dans la nature ; se réclamant des Lumières, il imagina que cette « gravitation animale », rebaptisée par lui « magnétisme animal », obéissait aux lois du magnétisme (que le physicien Coullomb allait mettre en évidence à la même époque) et que cette énergie pouvait être activée par des objets magnétisés. Ainsi il disposait ses patients autour d’un baquet rempli d’eau et de limaille de fer, les effleurant tout d’abord d’une baguette métallique, puis, lorsqu’il constata qu’il obtenait les mêmes résultats par le toucher manuel, leur imposant les mains, tout cela dans une ambiance très théâtrale, avec musique dramatique et lumières tamisées. Ces séances collectives impressionnèrent tant la bonne société parisienne que le pouvoir royal s’en émut ; un rapport fut commandité à une commission de savants respectés, rapport qui conclut à l’inexistence du fluide, attribuant les indiscutables effets des séances de magnétisation au pouvoir de l’imagination (mais sans s’interroger sur la nature de celle-ci): « L’imagination sans magnétisme produit des convulsions […]. Le magnétisme sans l’imagination ne produit rien. » L’astronome Bailly insista pour sa part sur la dangerosité sociale et morale de la pratique de Mesmer, soulignant les connotations sexuelles des crises chez des femmes auxquelles leur rang aurait dû épargner de tels débordements. Il n’en fallut pas moins pour faire interdire le magnétisme, et la gloire de Mesmer s’éteignit aussi soudainement qu’elle avait brillé.

Le magnétisme et la théorie fluidique survécurent cependant à la disgrâce de Mesmer. Le Marquis de Puységur et l’abbé Faria, pour ne citer que ces deux noms, surent mieux que leur prédécesseur en déceler les implications psychologiques, et l’on peut les considérer comme des précurseurs de nos psychothérapies. Notons que Puységur ne privilégiait guère les crises spectaculaires que Mesmer jugeait indispensables; bien au contraire, ses sujets développaient des états de sommeil apparent, tout en conservant une relation exclusive avec le Marquis, capables de s’exprimer bien mieux qu’ils ne le faisaient au naturel, doués de « diverses capacités dépassant les capacités du sujet », devenant « Médecins », diagnostiquant le mal de ceux qu’on approchait d’eux et prescrivant les remèdes appropriés. Cet état de « somnambulisme lucide », qui s’accompagnait d’une relation exclusivement centrée sur le magnétiseur avec communication extra-sensorielle, était suivi d’amnésie et rendait ces « Médecins » à leur ignorance initiale. De Faria il sera dit par l’un précurseurs de notre moderne hypnose, le Pr. H. Bernheim : « À de Faria appartient incontestablement le mérite d’avoir le premier établi la doctrine de la méthode de l’hypnose par la suggestion et de l’avoir nettement dégagée des pratiques singulières et inutiles qui cachaient la vérité » (« De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille »; 1884).

Entre temps, le magnétisme et ses théories fluidiques avaient été abandonnés par la médecine au profit des théories plus physiologiques de James Braid. Il poursuivit néanmoins sa carrière aux USA, où un horloger magnétiseur sera l’inspirateur de Mary Becker-Eddy, fondatrice de la Christian Science (1866). Mais aussi en Allemagne sous l’influence des romantiques et de la philosophie de la nature, où la lucidité somnambulique mettait l’esprit en contact avec « l’Ame du Monde », ou avec l’esprit des morts : les rapports de Fredericke Hauffe avec les esprits des morts sont relatés par l’Allemand Justinus Kerner dès 1830, préparant ainsi le chemin au spiritisme. Celui-ci, né aux USA, se répandit très vite en Europe où il connut une fortune extraordinaire à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, s’élevant au rang de véritable religion sous l’impulsion du Français H. L. Rivail, dit Allan Kardec. La relation entre spiritisme et magnétisme est d’ailleurs illustrée, par exemple, par le culte Umbanda, véritable religion nationale brésilienne, bien implantée dans les classes moyennes, qui mélange catholicisme, spiritisme et magie blanche, et au firmament duquel trônent curieusement côte à côte Franz Mesmer et… Auguste Comte.

La filiation scientifique – ou ne devrait-on pas plutôt dire « laïque » – de Mesmer, héritier du siècle des Lumières mais dont les continuateurs font parler les morts et inventent la Christian Science, passe donc par Braid, puis les écoles rivales de la Salpêtrière et de Nancy : d’un côté, Charcot, grand neurologue parisien, qui confine l’hypnose à l’hôpital où il la range du côté des manifestations pathologiques de l’hystérie, dans une conception purement somatique. Il y retrouve les crises décrites par Mesmer, sans se douter que le théâtralisme de ces manifestations est à l’exacte image de la puissante dramaturgie de ses propres démonstrations. De l’autre, Bernheim, à Nancy, introduit à l’hypnose par un médecin de campagne disciple de Braid, A. Liébault, tente de réduire hypnose à la seule suggestion, mais une suggestion qui serait faite dans un état de « sommeil incomplet » (sans trop définir en quoi consisterait ce sommeil). La voie est ouverte à une exclusive psychologisation de l’hypnose.

Après la mort de Charcot (1893), l’hypnose amorce un rapide déclin en France, (seul Pierre Janet poursuivra des travaux sur le sujet), en particulier sous l’influence croissante de la psychanalyse. En effet, même si le jeune neurologue Sigmund Freud, venu assister aux leçons de la Salpêtrière en 1885, débuta sa carrière comme hypnothérapeute, il se détourna vite d’une technique dont la maîtrise lui semblait impossible (effets inconstants, réactions imprévisibles, débordements émotionnels incontrôlables). L’hypnose demeura cependant un sujet d’étude pour les laboratoires russes (Pavlov) et Américains, qui en redécouvrirent les effets utiles dans le traitement des névroses de guerre après la première guerre mondiale.

Les leçons du behavioriste Clarke L. Hull (auteur de: Hypnosis and Suggestibility; 1933) furent le point de départ de la très féconde carrière d’un « thérapeute hors du commun », Milton Erickson (1901-1980), qui rendit ses lettres de noblesse à l’usage thérapeutique de l’hypnose : renonçant largement aux techniques d’induction autoritaires qui prévalaient jusque là (et rendaient compte des échecs de Freud), il développa des modes d’induction extrêmement variés, dont le trait commun était la constante prise en compte de l’individualité du sujet auquel il s’adressait, suivant son patient dans son propre monde plutôt que de chercher à lui révéler une vérité salvatrice. Même en France, où Léon Chertok œuvrait courageusement depuis les années 50 pour réhabiliter l’hypnothérapie, ce n’est qu’avec la propagation de travaux inspirés d’Erickson que celle-ci retrouve peu à peu la faveur d’un public grandissant.
En tant qu’outil thérapeutique, l’hypnose et en effet très actuelle, trouvant sa place au sein d’approches aussi diverses que les thérapies cognitives et comportementales, l’hypno-analyse, les thérapies stratégiques, le rêve éveillé sous hypnose, mais aussi la sophrologie, la Gestalt, la Programmation Neuro-Linguistique, etc.… La liste n’est pas exhaustive!
Outil thérapeutique, certes, et des plus utiles ; mais cela en fait-il pour autant un objet d’étude scientifique?

La recherche sur l’hypnose, dès lors qu’elle se veut scientifique, se heurte à un redoutable paradoxe : comment purifier l’essence d’un phénomène pour en faire un objet de connaissance, ainsi qu’on le fait en « bonne science », alors que la caractéristique fondamentale de ce phénomène est justement d’être indissociablement lié aux effets de l’influence ? Son extraordinaire ductilité confirme d’ailleurs les intuitions de Joseph Delbœuf qui, dès le siècle dernier, décrivait combien l’hypnotiste modèle les manifestations du sujet hypnotisé, anticipant par là tout ce qui s’est écrit depuis sur l’attente croyante, l’influence, les « prédictions auto-réalisantes »: on sait en effet aujourd’hui à quel point les attentes, les croyances, les attitudes des protagonistes déterminent le décours d’une séance d’hypnose, qui, telle l’auberge espagnole, traduit dans sa forme ce qu’hypnotiseur et hypnotisé y amènent, chacun y influençant l’autre et réciproquement.
Dans le domaine clinique, Erickson a montré que l’efficacité thérapeutique de l’hypnose est d’autant meilleure que le thérapeute est plus attentif à son patient, développant ainsi une relation hypnotique dont les anciens auteurs ont tôt discerné le rôle central et qu’il ont appelée le « rapport ». Point n’est d’ailleurs besoin de grands effets, il suffit de se tenir « au plus prêt » de ce que vit le sujet, et de modeler sa propre attitude sur l’expérience qu’il est en train de faire. Plus grande sera l’adaptabilité du thérapeute, plus grande sera son efficacité.
N’est-on pas là au coeur du problème : si l’hypnose advient au mieux là où la relation est chargée de la plus grande attention, de cette sorte d’attention qui fait de l’hypnotiseur le « co-énonciateur des états intérieurs » du sujet (Melchior), comme s’il se trouvait à l’intérieur même de ce dernier, comment réaliser une situation qui exclue l' »artefact » que réalise immanquablement l’influence de l’un sur l’autre, ainsi que l’exige la démarche scientifique? Comment mettre en place une situation et un sujet où rien ne passerait de l’un à l’autre, pas même l’idée que le sujet se ferait des intentions de l’expérimentateur? Sans rien du tout, sans aucune relation, aucune attente, que reste-t-il de l’humain, que reste-t-il de l’hypnose? L’essentiel du phénomène, en ce qu’il est de nature relationnelle, ne peut qu’échapper à la saisie expérimentale, prenant à revers les exigences que notre raison occidentale impose à un bon objet de connaissance. Un peu de la même manière que l’attitude que nous prescrit Erickson prend à revers nos certitudes les plus indiscutées lorsqu’il nous propose une cure sans prise de conscience, un parcours thérapeutique sans modèle théorique : le sujet rationnel et souverain s’efface devant un processus mouvant dont il s’agit de rétablir la fluidité là où elle serait entravée par quelque contrainte dont on n’a rien à savoir… Processus, flux, échange, relation plutôt qu’essence, substance, effets et causes. Nous voici projetés dans un monde qui bouleverse tous nos repères…

Commode, conforme à notre besoin de conceptualiser le monde et ses phénomènes, le terme d’hypnose ne fait donc que remplacer un inconnu par un autre, proposant un découpage apparemment objectif, mais en fait variable et arbitraire, de phénomènes très divers, à l’intersection entre l’individuel et le collectif, l’intra- et l’inter-psychique, le mystique et le pathologique, le divin et le démoniaque, paré de tous les chatoiements d’une insaisissable ambiguïté qui autorise des gloses infinies mais garantit bien peu de savoir sûr. On décrit les manifestations protéiformes de ce qui relèverait de l’hypnose, on établit des catégories, on en explore les frontières, on établit des recoupements et dresse des analogies avec d’immémoriales formes d’expressions, on convoque l’ethnologue, le philosophe, l’historien, l’éthologue et l’on recoupe les savoirs, on évoque la transe, la possession, l’extase, les visions, les anges et les démons, les esprits et les dieux et, d’une manière générale, tout le « merveilleux » d’avant, ou en marge de notre monde « désenchanté ». Outil thérapeutique précieux, mais concept flou, ce mot conserve l’orientation physiologique de ses origines, pour rappeler, à propos d’une réalité qui la met singulièrement en échec une des particularités de notre modernité : placer son horizon de vérité en l’objectivation scientifique

Voir la fiche formateur de François Thioly

 

Institut Français d'Hypnose

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